Squat story #10 : Menacés d’expulsion, les artistes du Post essayent de garder leur bonne humeur et de gagner du temps

Alors que les prix de l’immobilier flambent dans la capitale, des artistes se sont emparés d’un immeuble inoccupé rue Blanche (Paris 9e). Découvrez le nouvel épisode de cette aventure homérique.

La cuisine du squat Le Post
La cuisine collective du squat Le Post. Photo: Gaspard Delanoë.

Le feuilleton Squat story est raconté ici par Gaspard Delanoë, figure historique des squats d’artistes parisiens, ouvreur du célèbre 59 Rivoli, conventionné avec la Ville de Paris. Né début janvier 2019, Le Post connaitra-t-il un sort similaire ? Dans ce nouvel épisode, les occupants, trainés devant le tribunal, réussissent à éviter l’expulsion.

Lettrine, Le 12 mars, au petit matin, la plupart des squatteurs arrivèrent groupés sur le site flambant neuf du nouveau tribunal de grande instance de Paris, dans le quartier des Batignolles.

Haut de 160 mètres et de 38 étages, le bâtiment en imposait par sa transparence, son gigantisme, sa légèreté. L’ironie voulait que son concepteur fut l’architecte Renzo Piano, celui-là même qui, quarante ans plus tôt, avait construit un bâtiment futuriste en l’honneur des artistes : le centre Georges-Pompidou. Peut-être s’agissait-il d’une allégorie : l’art et la culture, au panthéon des ambitions humaines à la fin des années 1960, étaient passés au second plan. Désormais, c’était pour rendre des décisions de justice et, le cas échéant, condamner des artistes que l’on construisait des cathédrales de béton…

Le nouveau Tribunal de Paris, 2017
Le nouveau Tribunal de Paris, 2017. Photo: Jeanne Menjoulet.

L’audience eut lieu, dans une petite salle sombre au 4e étage. Il y eut un grand silence. Nous décidâmes d’appliquer la stratégie que les squatteurs appliquent toujours lors de la première convocation devant un tribunal : demander un report de l’audience à la présidente. En effet, les squatteurs n’ayant généralement pas d’avocat attitré, il est fréquent qu’ils fassent une demande d’aide juridictionnelle.

Cette procédure permet à tous ceux qui n’ont pas les moyens de bénéficier d’un avocat d’office, dont une partie des frais est couverte par l’État, ce afin que tout être humain, quels que soient les faits qui lui sont reprochés, puisse être défendu dignement, c’est-à-dire par un(e) avocat(e).

RESPECTER LES COUTUMES JUDICIAIRES

Il y a près de quarante ans, dans les premiers temps du mouvement des artistes-squatteurs, on avait cru que se présenter sans avocat et se défendre soi-même devant le tribunal pouvait être une tactique payante, mais il n’en est rien. Le système judiciaire est une corporation, et cette corporation déteste que les accusés se défendent eux-mêmes : d’une part parce que cela laisse trop de place à l’émotion, au misérabilisme, au déséquilibre et l’on sait bien que ce ne sont pas là les piliers d’un bon jugement. D’autre part, ce n’est pas pour rien qu’il existe des avocats – dont la condition est souvent précaire.

Certes, on aperçoit parfois sur les plateaux-télés des ténors du barreau en train de faire leur numéro, mais la réalité du métier d’avocat est que la plupart vivent les quinze premières années de leur exercice dans des conditions très chiches et avec une somme de travail considérable.

GAGNER DU TEMPS

Faire valoir l’assistance juridictionnelle est une nécessité à la fois pour les squatteurs et pour le système judiciaire lui-même ! De plus, cela permet d’obtenir un report. Et dans le combat que mènent les squatteurs, le temps est le bien le plus précieux. Car dans 97 % des cas, l’aventure d’un squat s’achève par une expulsion.

Tout le sel de l’aventure consiste donc à gagner le plus de temps possible entre l’entrée dans les lieux et le moment de la sortie. N’est-ce pas là une métaphore à peine voilée de la vie ? Ne cherchons-nous pas tous à gagner le plus de temps possible entre le moment de chute dans ce monde et le moment du départ pour le néant ?

La demande d’aide juridictionnelle nous fut accordée par la présidente du tribunal qui nous octroya un mois de délai avant la prochaine audience. Un mois. Nous avions donc un mois pour trouver un(e) avocat(e), un mois pour chercher et trouver des soutiens politiques, un mois pour construire une stratégie médiatique.

UNE AVOCATE DE CHOC

Une réunion du collectif eut lieu, au cours de laquelle nous décidâmes de faire appel à maître Diffre. Florence Diffre était une avocate connue dans le milieu des squats pour avoir brillamment défendu dans les années 2 000 plusieurs collectifs d’artistes, dont le 59 Rivoli ; cependant elle s’était plutôt spécialisée dans la défense du droit d’auteur au cours des années suivantes et il n’était pas certain qu’elle soit prête à reprendre du collier pour défendre une nouvelle génération d’artistes-squatteurs. Mais, après avoir été contactée et s’être rendue sur place pour rencontrer des membres du collectif, elle accepta de les défendre, ce qui procura une véritable satisfaction au groupe.

Savoir qu’on allait être défendu par une avocate rompue aux techniques de défense permettait de se rassurer un peu, de se dire que lors d’une plaidoirie homérique, maître Diffre serait peut-être capable de gagner des mois et des mois d’occupation en plus au bénéfice du collectif. Cela faisait du bien de se sentir armés devant la justice, car nous étions bien vivants, nous.

Le pape est l’avocat de Dieu. Dommage que son client soit mort. — Francis Picabia

Le temps pressait cependant et il était urgent de trouver des appuis politiques, si possible parmi des responsables en activité. Une réunion eut lieu au cours de laquelle le nom de Frédéric Hocquard fut évoqué par plusieurs d’entre nous.

Frédéric Hocquard occupait la fonction d’adjoint à la Culture de la Ville de Paris (en vérité ils étaient deux à occuper cette fonction car Christophe Girard lui aussi revendiquait ce titre). Il était notamment en charge de la vie culturelle de la Nuit parisienne depuis plus de trois ans et venait d’être nommé responsable des collectifs d’artistes. C’est lui qu’il fallait contacter. Lui qu’il fallait convaincre de venir sur place et, qui sait, de nous soutenir.

OBTENIR UN SOUTIEN POLITIQUE

La tâche ne semblait pas impossible car après tout, Frédéric Hocquard était membre du parti de Benoît Hamon, Génération.s, donc sensément plus à gauche que la majorité en place à la mairie de Paris et soucieux peut-être de mettre en adéquation ses convictions et ses actions.

Soutenir un collectif d’artistes en difficulté, installé dans un bâtiment inoccupé appartenant à une compagnie-d’assurances-globalized pouvait tout à fait rentrer dans la grille de lecture d’un dirigeant politique de gauche – si tant est que ce mot ait encore quelque signification ! Ou pas ?

Frédéric Hocquard fut donc contacté et il ne fallut pas attendre une semaine avant qu’un rendez-vous soit calé entre lui et les membres du squat. « Extra ! » s’exclamèrent nombre de membres du collectif, tant il était réjouissant de savoir qu’on allait pouvoir défendre pied-à-pied notre cause, présenter le lieu et toutes les activités qui s’y étaient mises en place, argumenter, batailler et peut-être – pourquoi pas – emporter la conviction de l’élu !

RENDEZ-VOUS À 11 HEURES DU MATIN

Un vent d’enthousiasme secoua Le Post. La lumière semblait entrer plus claire par la myriade de fenêtres en façade et l’air lui-même s’était radouci ; un ciel serein inhabituel en ce début de mars suspendait au-dessus du Post comme une promesse d’éternité. L’improbable lueur perçue au cœur de la nuit en janvier allait-elle laisser place à un océan ouaté, ennuagé de bleu et dénué de giboulées ?

Le rendez-vous ayant été fixé à 11 heures du matin, un jeudi, sur demande de l’adjoint à la Culture, tout le monde se retrouva donc sur le pont beaucoup plus tôt qu’à l’accoutumée, car il faut bien dire que depuis le début de l’aventure, c’est un rythme nocturne qu’avaient adopté les occupants de l’immeuble du 29 rue Blanche.

Et d’une certaine manière, ce rythme, qui les conduisait dans des nuits à refaire le monde, des repas collectifs à pas d’heures et des petits matins aux yeux pochés, ce rythme collait bien à leur marginalité : pendant que la plupart des gens se rendaient au travail à la diurne, eux sommeillaient encore dans des vapeurs profondes, mais lorsque, épuisés, les travailleurs du jour s’en allaient se coucher, eux sonnaient le tocsin, tambourinaient trompettes et démarraient la nuit.

La nuit n’est pas comme le jour. Elle a beaucoup de souplesse. — Henri Michaux

L’adjoint à la culture se pointa à 11 heures précises et en apercevant certains visages encore tout ensommeillés dans certains ateliers, un franc sourire traversa sa face car il savait bien cela : les squatteurs vivent la nuit, ils investissent leurs lieux la nuit, ils échafaudent leurs plans la nuit, bref ce sont des oiseaux nocturnes…

La visite se déroula en toute bonhomie et chacun fut surpris par le ton de l’élu, résolument direct, posant des questions crues, affichant son soutien tout en fixant des caps, des objectifs, des règles de bonne conduite. Se pouvait-il qu’il existât à Paris des hommes politiques capables de s’engager aussi rapidement pour des causes difficiles sans louvoyer, noyer le poisson, se perdre en langue de bois ? Il se pouvait !

L’élu promit de s’engager. Il déclara qu’il allait tenter de joindre le directeur général de la compagnie-d’assurances-globalized ; qu’il essaierait de le convaincre de ne pas aller vers le procès et de proposer une convention d’occupation précaire avec engagements de part et d’autre, bref un arrangement.

LES YEUX SE MIRENT À BRILLER

Il promit également de faire passer un vœu au Conseil de Paris, manière d’acter que la majorité municipale, tout en condamnant les actions illégales des squatteurs, « comprenait » que la chute vertigineuse d’ateliers d’artistes dans Paris était un problème qui méritait d’être traité…

Ainsi Le Post se frotta les yeux quelques minutes après le départ de Frédéric Hocquard, tant cette réalité nouvelle lui semblait improbable : un soutien politique majeur venait de conforter la démarche tordue de tout un collectif… et c’était comme si le Jour reconnaissait la Nuit !

Une chose hallucinante, rarissime. Une chose impossible. Le sang afflua dans les veines, les yeux se mirent à briller, des regards furent échangés comme jamais auparavant, était-ce vrai ? Vivions-nous bien ce moment-là ? N’étions-nous pas en train de rêver ?

> Retrouvez la suite vendredi 28 juin 2019 dans le journal minimal.
> À (re)lire : les autres épisodes de la série Squat story.

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À propos de l'auteur
Le mot performeur me semble le plus adéquat pour décrire mes différentes activités : colporteur de journaux, comédien, ouvreur de squats artistiques, chroniqueur au Huffington Post, candidat à diverses élections… J’ai publié mon premier récit, « Autoportrait (remake) », en 2017 aux éditions Plein Jour.
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