Alors que les prix de l’immobilier flambent dans la capitale, des artistes se sont emparés d’un immeuble inoccupé rue Blanche (Paris 9e). Découvrez le nouvel épisode de cette aventure homérique.
Le feuilleton Squat story est raconté ici par Gaspard Delanoë, figure historique des squats parisiens, ouvreur du célèbre 59 Rivoli, conventionné avec la Ville de Paris. Né début janvier 2019, Le Post connaitra-t-il un sort similaire ? Dans ce nouvel épisode, les occupants reçoivent une visite de mauvaise augure.
n était là depuis un mois à peu près quand la première vraie mauvaise nouvelle arriva. C’était un mercredi matin de février, vers 9 h 30. Une huissière de justice, accompagnée d’un officier de police judiciaire, exigea de pouvoir entrer dans le bâtiment afin de récupérer l’identité des occupants.
On le savait tous : c’était la procédure habituelle. Le propriétaire (la compagnie-d’assurances-globalized), s’étant aperçu que son local était squatté, devait à présent traîner les occupants en justice le plus rapidement possible afin de les faire déguerpir.
DISSENSIONS
Une quinzaine d’artistes déclarèrent vivre au Post et furent d’accord pour comparaître prochainement devant le tribunal. Il y eut, comme il y en a toujours, des dissensions entre ceux et celles qui avaient pris le risque de figurer sur la procédure et ceux qui, pour des raisons personnelles, avaient préféré ne pas le faire.
Tout le monde se souvenait de ce qui s’était passé rue de Sèvres, quelques années plus tôt. La propriétaire, une Suissesse enragée, avait poursuivi les occupants bien après qu’ils avaient été expulsés et avait obtenu de la justice que des retenues sur salaires soient effectuées pour payer une partie des amendes auxquelles les squatteurs avaient été condamnées. Un cas extrême. Un cas rarissime. Mais un cas réel.
ASSIGNATION EN JUSTICE
Il devenait urgent de se rassembler, de communiquer, d’aller plus vite car avec l’arrivée de l’huissière, le compte à rebours que tout squatteur a dans la tête (« le temps qui reste avant l’expulsion ») s’était mis en route.
Alors on en revint au mode opérationnel de départ : Facebook. Un groupe privé fut monté dans lequel chacun fut prié de laisser son blaze * et son tél au plus vite, et ce afin de coordonner les actions et de s’organiser dans la lutte. Car le combat désormais avait commencé. Les deux adversaires étaient sur le ring. Bientôt, les premiers coups allaient pleuvoir.
- Cliquer pour voir les blazes des artistes du Post
- Plasti Max/Vivien Le Jeune Durin/Manon Dard/Alex Gain/Alice Bigot/Greg Looping/De Soie/An TO/Ralph Karam/Delphine Tilliard/Couleureuse Melaime/Jules Cruveiller/Lu Ui/Thibaut Morisset/Clara Almeida/Andy Rankin/Ineed Flanders/Jeanne Bathilde/Audrey Miams/Jo Jo/Zakaria Jaghrafi/Félix Imbert/Noureddine Faraj/Pô Pô/Louis Meunier/Mathias Isimat Mirin/Hugo Zielinski/Arthur Taieb/Ugo Tito/Roberto Pezet/Léo Landreau/Milo Bourcart/Mathieu Mulk/Grolou Louis Danjou/Hugo Béhérégaray/Plexus Solaire/Nerdah Reissit/Bi Wi/Ulysse Guillermet/Louis Tarrisse/Roméo Chaley/Jean Delahaye/Juliette EdmondNeuille de Roméront/Isis Lherm/Jean Philip/Arnaud Idelon/Tiphaine Saint-Martin/Nicolas Fulconis/Mathieu Grimbaire/ Clément Jandard/Justin Buhler Vincent/Newsha Nagashian/François Couac/Inès Maalèj/Bérangère Pivot/Thibault Delhom/ John Fou/ Cy Lecerf Maulpoix/
Une assignation à comparaître devant le tribunal d’instance de Paris le 12 mars 2019 parvint aux squatteurs : « Faute de vous présenter ou de vous faire valablement représenter, vous vous exposez à ce qu’une ordonnance soit rendue sur les seuls éléments fournis par votre adversaire. » Le courrier incriminait les « occupants sans droits ni titre, installés par effraction » dans l’immeuble vide et gardienné du 29 rue Blanche, les accusant d’avoir « forcé la porte d’entrée ».
UN COUP DE MASSUE
« De plus il a été constaté que les occupants procèdent à des travaux dans l’immeuble : des douches ont été crées ainsi que des cuisines. » Eh oui, Madame l’huissière, on mange et on se lave ! « Compte tenu de l’urgence et du préjudice causé, il est demandé à Madame ou Monsieur le président du tribunal de condamner solidairement les défendeurs à payer une indemnité journalière de 1 000 euros à compter de la délivrance de l’assignation. »
« Par ces motifs, il est demandé au président d’ordonner l’expulsion sans délai de Madame Manon Dard, Monsieur Thibaut Morrisset, Madame Alice Bigot, Monsieur Arthur Gourdin, Monsieur Alexandre Gain, Monsieur Grégory Cardon, Madame Souad Bekkay, Madame Delphine Tilliard, Monsieur Mélaine Loison, Madame Jeanne Bathilde, Monsieur Joffrey Andre, Monsieur Antonin Masson, Monsieur Ralph Karam, Monsieur Léo Landreau », c’est-à-dire de toutes et celles et ceux qui s’étaient portés volontaires pour figurer sur l’assignation et qui, par conséquent couraient le risque judiciaire de se voir condamner à de lourdes amendes. Ce fut un véritable coup de massue.
On a beau savoir que cela se passe comme ça la plupart du temps, on a beau anticiper et se construire une carapace de convictions, minimiser la charge, se dire qu’il y a des choses plus graves, que tout ça n’est rien, il n’empêche… Le jour où la langue de l’État vous désigne et vous condamne, le coup est rude. La langue est raide. Et l’espoir soudain s’amenuise.
L’État est le plus froid de tous les monstres froids ; et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi l’État, je suis le peuple. » — Friedrich Nietzsche
> Retrouvez la suite vendredi 14 juin 2019 dans le journal minimal.
> À (re)lire : les autres épisodes de la série Squat story.
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