Pourquoi Paris est-elle devenue, en quinze ans, la capitale européenne des squats d’artistes ? Dans ce 2e épisode, le point sur 2008, année cruciale : les lieux alternatifs se multiplient et sont même soutenus par une partie de l’UMP.
Paris, avril 2008. La campagne municipale bat son plein dans la capitale et dans toutes les grandes villes de France. À Paris, Françoise de Panafieu, candidate de l’UMP, essaye tant bien que mal de s’opposer à une réélection de Bertrand Delanoë, dont la popularité vient couronner une mandature globalement réussie et symbolisée par l’instauration de Vélib’, la création de couloirs de bus, le redressement des comptes de la ville et l’idée lumineuse de la Nuit blanche, modèle d’événement culturel bientôt repris par toutes les villes du monde.
Quant à l’engagement de la ville auprès des collectifs d’artistes-squatteurs, il ne s’est pas limité au sauvetage très médiatisé du squat Rivoli, mais d’autres conventions d’occupation précaire ont été signées avec la Tour 111*, la Petite Rockette, le Jardin d’Alice, la Gare XP, la Générale, le Théâtre de Verre, Jour et Nuit Culture et d’autres groupes d’artistes qui se sont engouffrés dans la brèche créée par le précédent de la rue de Rivoli (voir l’épisode 1).
Un poste d’adjoint aux « lieux émergents » et aux « nouveaux territoires de l’art » a même été créé à l’Hôtel de Ville car, loin de se limiter à quelques initiatives éparses ou isolées, les occupations de bâtiments ou d’immeubles vides par des artistes se multiplient, principalement dans les arrondissements de l’Est de Paris mais aussi en proche banlieue, de Montreuil à Ivry-sur-Seine, en passant par Bagnolet.
FACE AU GHETTO DE RICHES, SQUATTER PARAIT LÉGITIME
De plus, le mouvement Jeudi Noir qui pratique la réquisition de locaux afin d’y loger des étudiants et des précaires a pris son essor. L’association Les Enfants de Don Quichotte, au terme d’une immense occupation des berges du canal Saint-Martin a obtenu de haute lutte le droit au logement opposable (loi Dalo).
Bref, ce ne sont plus seulement quelques artistes qui squattent à droite à gauche et réenchantent la ville mais un véritable mouvement social qui s’est emparé de la question de l’espace, du « comment vivre quand la moitié de ses revenus sont consacrés au logement », de la lente gentrification et du risque de voir Paris intra-muros se transformer en ville-musée ou en ghetto de riches. Face à cela, les squatteurs ont gagné leur légitimité et l’opinion publique, imperceptiblement, a basculé en leur faveur : on ne s’offusque plus de voir des locaux vides occupés illégalement, on le comprend ; on ne reste pas indifférent face à l’expulsion de mal-logés en plein hiver mais on s’en indigne et on se dit que les plus pauvres ont bien raison d’occuper des immeubles de bureaux désaffectés, servant uniquement à la spéculation immobilière.
C’est dans ce contexte de basculement de l’opinion vers une tolérance à l’égard des squatteurs qu’un micro-événement de campagne, qui passera totalement inaperçu, va acter la victoire idéologique et culturelle de la gauche – dont Antonio Gramsci a dit et redit qu’elle précédait toujours la victoire politique : Jean-François Lamour, alors président du groupe UMP au Conseil de Paris, décide, à la surprise générale, d’apporter son soutien à un collectif d’artistes installés dans une cour désaffectée de la rue du Faubourg-du-Temple, dans le 10e arrondissement.
Dans une interview donnée au Parisien, Lamour explique que, sous certaines conditions, il est envisageable que la ville signe un bail précaire avec ledit collectif en attendant qu’un véritable projet de reclassement de la cour désaffectée soit mis sur la table, autrement dit, il valide le virage pris par la nouvelle majorité de gauche en 2001 et surtout, il rompt avec un des éléments de langage traditionnels des discours de droite : non, les occupations illégales ne sont pas toutes « illégitimes ».
Ce retournement de veste lui vaudra, lors du Conseil de Paris de juin 2008, une pique « toute amicale » de son adversaire politique Christophe Girard qui se vante alors d’avoir été pionnier dans la défense des collectifs d’artistes.
* Contrairement à ce que l’on croit, la première convention d’occupation signée par la Mairie de Paris avec un collectif de squatteurs n’a pas été celle avec le 59 Rivoli mais avec le 111 St-Honoré, autrement connu sous le nom de Laboratoire de la Création, et dont le responsable n’est autre que Julien de Casabianca.
• Retrouvez l’épisode 3/5 de Squat story mardi 25 juillet.
• Lire l’épisode précédent : Le « 59 rue de Rivoli », un squat à 9 millions d’euros.
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