Reportage. Notre correspondante à Katmandou nous emmène chez Raithaane, un nouveau et tout petit restaurant qui propose une slow-food locale à base d’ingrédients naturels.
Raithaane a ouvert il y a à peine plus d’un mois. Ce nouveau bistrot ethnique se trouve à 5 kilomètres de Katmandou, la capitale du Népal. On y accède par un petit tunnel sur la place du Durbar, dans l’ancienne ville royale de Patan. Le bâtiment est fait de briques et d’argiles, avec des ouvertures en bois sculpté. Il s’agit de ces vieilles demeures traditionnelle construites par les Newars, premiers habitants de la vallée. C’est presque une maison de poupée, où, du haut de mon un mètre soixante, j’ai l’impression de devoir baisser la tête pour entrer.
La cour intérieure est bordée de maisons à plusieurs étages, toutes construites dans un style différent. Je tourne à gauche, ça y est je suis arrivée chez Raithaane :
— Namaste, hello ! Affairés, les cinq membres de l’équipe me répondent avec sourire et entrain.
Raithaane est géré par un collectif de trois personnes, deux népalais et une française : Jason, Prashant et Mathilde. Deux employés népalais ont été embauchés pour les aider : Diamond, cuisinier, et Barish, barman.
Je m’installe dans le « jardin », la cour du restaurant qu’un petit muret sépare de celle de l’immeuble. Il y a là quatre tables fonctionnelles en bois et métal, réalisées par un atelier d’artisans situé dans la même rue.
Jason m’apporte le menu. C’est un peu le créatif de la bande, au relationnel chaleureux, un pro aussi des réseaux sociaux. Avant même de faire mon choix, je commande un café. Voilà un ingrédient qui ne faisait pas partie de la culture népalaise à l’origine mais qui fait aujourd’hui la fierté du secteur agricole. Depuis le début des années 2000, les petites plantations de café connaissent un bel essor, grâce à la hausse des exportations et de la consommation locale. On trouve du café bio en grain torréfié un peu partout à Katmandou. Je ne savais pas lequel pouvait être le meilleur jusqu’à ce que je découvre celui de Raithaane. Ils réalisent eux-mêmes la torréfaction, dans un grand pot traditionnel nepali, le kasaudi, arrondi en bas, évasé en haut. Presque en forme de huit dont on aurait coupé le haut de la tête.
Le grain a été sélectionné par Prashant, sur les hauteurs des collines himalayennes. C’est Barish, le barman, qui le prépare. Il fait bouillir l’eau dans une grande théière. Un filtre est placé au dessus d’une tasse dans lequel il pose délicatement le café fraîchement moulu. « On préfère ce filtre en métal à celui en papier parce qu’on trouve que ça fait mieux ressortir l’arôme du café. Et bien sûr ça réduit les déchets, m’explique Prashant. L’eau enfin prête, Barish en verse une petite partie sur le filtre et la regarde s’écouler lentement. Il recommence l’opération plusieurs fois. Sa patience m’impressionne.
Boissons et plats sont préparés à la commande. Préserver le goût et les nutriments des aliments, c’est ce qui va déterminer le mode de préparation et de cuisson. Quel que soit le temps que cela prend.
Mathilde interrompt mes pensées :
— Tu veux manger quoi ?
— Ah oui, j’ai oublié de regarder le menu. Tu me conseilles quoi ? »
— Un plat sherpa, le rikikur.
— Le riz qui court ? On éclate de rire.
Les idées de recettes ethniques, c’est Prashant qui les apporte. Passionné de cuisine, il a parcouru le Népal à la recherche des plats et restaurants traditionnels. Il raconte ses escapades culinaires dans un blog, véritable mine d’or de recettes et de bonnes adresses. Un livre est en préparation, en langue anglaise, pour toucher le plus grand nombre : « Nous, ce qu’on veut c’est que les népalais se reconnectent avec la diversité culinaire du pays. Qu’ils découvrent les plats d’autres ethnies que la leur, faits à partir de graines et légumes peu utilisés, bien plus nutritifs que le riz blanc. » Le Népal est composé de 125 castes et ethnies. Ce qui laisse imaginer la quantité et la variété de mets qui se côtoient dans le pays.
Penchons nous à présent sur ce rikikur. Il s’agit d’une galette de pommes de terre qu’on mange avec une noix de beurre de yak et une sauce salée composée de coriandre et serkam. Pour réaliser la galette, il faut râper la pomme de terre, y ajouter de la farine de sarrasin et de l’eau. Pour préparer le serkam, on fait chauffer du babeurre pour le faire épaissir. On récupère le résidu, composé de protéines, qu’on laisse sécher au soleil. Cette poudre est utilisée dans les sauces ou les soupes. Le peuple sherpa élevait des vaches, naks (femelles du yak) et dzomos (croisements entre vaches et naks) pour leur lait.
Où se procurer tous ces ingrédients ? Chez Raithaane, les pommes de terre sont l’affaire de Mathilde. Ingénieure agronome de formation, elle étudie la patate népalaise depuis plusieurs années. Le dimanche, son jour de congé au restaurant, elle prend régulièrement la route pour aller acheter des pommes de terre. Pour les produits traditionnels, il faut se rendre dans les différents quartiers de Katmandou où sont regroupées les ethnies. Le beurre de yak et le serkam, c’est au sein de la communauté sherpa, tamang et tibétaine qu’on va les trouver, dans les petites rues autour du célèbre stupa de Bodnath, lieu de pèlerinage bouddhiste.
DES INGRÉDIENTS IMPROBABLES
Pour la coriandre, il existe quelques minis coopératives sur la capitale qui font l’intermédiaire entre des petits producteurs bio et les clients. Elles se comptent sur les doigts d’une main, ne sont pas très approvisionnées mais suffisent au restaurant. « J’ai des amis qui montent un projet de permaculture à une heure de Katmandou. Dès qu’ils seront opérationnels, on ira se fournir chez eux en légumes et en herbes aromatiques » me dit Jason.
Diamond, le cuisinier, s’inquiète : « Alors il était comment le rikikur ? T’as aimé ? » Diamond est venu à la cuisine peut-être un peu par hasard : « J’ai vu des chefs en action et ça m’a beaucoup inspiré. » Il envisage son avenir avec des rêves plein la tête. Chez Raithaane, il apprend à cuisiner des ingrédients qu’il n’avait jamais utilisés auparavant. C’est le cas du lichen, ce champignon en forme de mousse qui pousse sur les arbres et qu’on observe également en Europe. Au Népal, l’ethnie Limbu le récolte, le fait bouillir plusieurs heures, puis le fait sécher. Il est ensuite traditionnellement cuisiné avec du porc.
Et si on passait au dessert ? L’équipe de Raithaane propose une création originale, la tarte au JuJu Dhau (« le roi des yaourts » en langue newari). Jason la décrit comme « un cheesecake mais en meilleur ». Mais franchement, c’est encore mieux que ça : un biscuit divin croustillant vêtu d’une crème légère et parfumée. La pâte à tarte est réalisée avec de la tsampa, la farine d’orge grillée tibétaine, ce qui lui donne un goût biscuité et une consistance craquante. C’est une spécialité que l’on trouve uniquement dans l’ancienne cité médiévale de Bakthapur, à 13 kilomètres de Katmandou. Ce yaourt est fabriqué à partir de lait de bufflonne, plus épais que le lait de vache après transformation. Pendant le processus de fabrication, il est déposé dans un pot en argile non poreux pour un résultat final charnu et onctueux. Idéal pour la création de desserts.
LE DIGESTIF DE MATHILDE
Mon déjeuner achevé, je m’apprête à partir. Mathilde me rattrape pour me faire goûter sa dernière expérimentation, une boisson trouble couleur écrue. « Il me restait du pain au levain un peu trop vieux pour être servi. Et l’été dernier, en Sibérie, j’ai découvert une boisson alcoolisée faite à base de pain fermenté. J’ai testé la recette. Ça ne donne pas vraiment pareil mais, finalement, ça ressemble beaucoup à une boisson népalaise. » Je me rassois et goûte à son breuvage : on dirait une sorte de kombucha, cette boisson à la mode à base de thé fermenté. C’est très désaltérant. Les quelques clients encore attablés se voient offrir un verre aussi. Aucun de nous n’arrive à déterminer le degré d’alcool. On se met à discuter, à parler recettes et voyages. Je bois un deuxième verre de cette potion inconnue… Je suis bien ici. Et si je restais jusqu’au dîner ?
Horaires : du lundi au samedi de 12 h à 19 h. Fermé le dimanche.
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2 réponses
Salut. Hier 7 novembre j’ai découvert avec émerveillement ce petit « hole in the wall » en suivant le petit bout de mon nez qui s’est violemment tordu vers la gauche et m’a conduit à me faufiler dans le boyau qui mène à la cour intérieure où s’est installé Raithaane. Bonnes conversations multilingues, et papotage culinaire champignonesque. Comme Raithaane prend quelques jours pour Tihar, je n’aurai pas l’occasion de tester leurs talents culinaires avant … mon prochain passage au Népal, ce que je regrette beaucoup.
En farfouillant un peu, j’ai trouvé cet article daté … du 6 novembre ! Je suppose qu’on a échangé quelques mots hier ?
Bonne chance à Raithaane, et à bientôt.
Merci, voici un reportage très vivant et qui met en appétit…