Le confinement interroge notre rapport à l’intensité

Beaucoup se posent la question du monde d’après mais l’insécurité ressentie en période de confinement nous invite surtout à repenser notre quête permanente d’intensité.

Jeune homme à la fenêtre, balcon
Illustration : « Jeune homme à la fenêtre », 1875, détail d’une peinture de Gustave Caillebotte.

Lettrine, Le confinement a fait éclater au grand jour les limites de notre système économique. Comme l’écrit le journaliste Romaric Godin dans Mediapart, « la valeur produite par le marché, qui donne à un consultant un poids monétaire dix fois supérieur à celui d’une caissière ou d’un éboueur », apparaît maintenant pour ce qu’elle est : « une abstraction vide de sens ».

Ce vide, bien qu’il ne soit rien par définition, vient s’immiscer dans différents aspects de notre vie quotidienne de confiné, pour ceux qui le sont. Il opère comme un miroir, et vient interroger nos valeurs. S’il est vrai que le confinement n’est pas une retraite spirituelle, nous sommes parfois, par la force des choses, contraints de nous regarder en face. Ce n’est pas toujours agréable, mais c’est quand l’océan de notre vie quotidienne trépidante se calme que l’on peut en apercevoir le fond.

NE RIEN FAIRE

Dans son ouvrage Éloge de l’insécurité, écrit il y a soixante-dix ans mais qui n’a pas pris une ride, le philosophe Alan Watts va droit au but en soulignant que nous vivons une époque faite de frustration, d’anxiété, d’agitation et de dépendance à ce qu’il appelle la « dope ». La dope, c’est ce niveau élevé de vie qui vient sans cesse chercher à stimuler nos sens et nos besoins et qui par conséquent, nous pousse à les stimuler davantage et donc à s’inventer de nouveaux besoins. En résulte une addiction à une vie à forte intensité qui s’accompagne d’une dégradation de notre sensibilité à ce qui est déjà présent maintenant, autour de nous. Nous ne cherchons plus la douceur : la quête a pris le pas, tant le monde peut nous fournir de quoi nous inventer chaque jour de nouveaux besoins.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation qui pour de nombreuses personnes réveille une souffrance jusqu’alors inconnue : il nous est impossible de répondre à ces nombreux besoins. Nous devons patienter, chez nous. Faire notre part et donc ne rien faire. Si l’on est chanceux, on se rendra vite compte de l’illusion que nous avons cultivée en cherchant à répondre à ces besoins. Pour certaines personnes, ce confinement est donc insupportable.

NOS DÉSIRS DE « DOPE »

On se rendra peut-être même compte que la paix, le calme et l’existence en elle-même sont suffisantes. Que ces besoins faisant de notre vie une collection d’événements à forte intensité n’étaient que des désirs, le plus souvent intériorisés au regard d’une perméabilité permanente au monde extérieur qui véhicule des valeurs que nous avons acceptées sans s’interroger. Beaucoup se posent la question du monde d’après, mais celui d’aujourd’hui est bien plus important : il nous invite à évaluer les fondements de nos besoins. Pour la plupart d’entre nous, le confinement est l’occasion de se rendre compte d’un imminent besoin de retour à la nature, ou encore à la douceur des relations bienveillantes.

Elle est douloureuse, cette période où nous voyons nos proches succomber en se sentant bien impuissants. Elle est également douloureuse, quand le calme provoqué par le confinement vient réveiller notre âme et les besoins si simples de celle-ci : ceux qui nous invitent à la réconciliation avec nous-même, avec les proches que nous avons parfois oubliés dans notre vie effrénée. De la même manière que cette pandémie met en exergue les actes politiques les plus tendres comme les plus violents, elle nous permet d’observer la manière dont nous avons choisi de nous entourer, de travailler, ou encore de consommer. Cette période de confinement vient parfois chercher nos désirs de « dope » et soudain, une partie de nous, somnolente jusqu’à présent, refait surface avec sa douce musique : « Prends le temps, ce n’est pas nécessaire ».

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À propos de l'auteur
Journaliste, consultant en communication et spécialiste de la psychologie entrepreneuriale, j’étudie depuis cinq ans les spiritualités orientales et m’interroge sur leurs implications dans notre société occidentale.
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