Le jour où je suis tombée en arrêt devant le ginkgo biloba de la place Raoul Follereau (Paris 10e) et son parterre de feuilles dorées.
C’est un jour d’automne. Je traverse une fois de plus la place Raoul-Follereau (Paris 10e), en pédalant. La place est carrée, délimitée par un vilain ensemble d’immeubles des années 70 ou 80. Les vitrines des boutiques abandonnées sont masquées de blanc. La fontaine ronde, au centre, tente bien de donner au lieu un petit air andalou, mais rien n’y fait, personne ne s’attarde jamais ici. Pourtant cette fois, je pile en constatant le parterre de feuilles jaune doré. J’en ramasse une, j’admire longuement ce petit éventail aux nervures en bouquet… j’échange un sourire timide avec les quelques réfugiés présents ce jour-là, puis je lève les yeux vers les arbres et leur houppier oblong et doré. Des ginkgos bilobas. Des ginkgos ! Ils ne sont pas tombés du ciel la veille. Comme je peux le constater sur cette fascinante carte qui donne l’identité et la date de plantation de tous les arbres des rues de Paris, le ginkgo qui m’a fait de l’œil a été planté le 7 mars 2007. Il est entouré de 11 congénères plantés ici entre 1994 et 2013 (et de 11 érables argentés dits aussi érables de Virginie). Et c’est la première fois que je daigne leur accorder un regard.
Le ginkgo était sur terre avant même les dinosaures. Charles Darwin le baptisait « fossile vivant ». L’ancêtre du ginkgo biloba, le ginkgo primigenia, poussait déjà il y a 250 millions d’années. C’est l’époque d’une extinction de masse, celle du Permien qui voit disparaître 80 à 96 % des espèces marines et 70 % des familles de vertébrés terrestres et qui fait place nette pour l’apparition des dinosaures. Le ginkgo, lui résiste, comme il résistera aux extinctions suivantes. Au cours de ces derniers millénaires pourtant, il a failli entrer dans la catégorie « espèce éteinte ». Il s’est raréfié jusqu’à disparaître à l’état sauvage, pour des raisons inconnues (changement climatique ? Déforestation ?).
CES ARBRES DOTES D’UNE RAGE DE VIVRE INCROYABLE, DEVENUS DES SYMBOLES DE PAIX
Et c’est alors que le destin du ginkgo s’est lié de façon inextricable à celui des hommes. Les Chinois coupent leurs forêts depuis des millénaires, sur leur vaste territoire, consomment le bois à outrance. Ils ont aussi appris très tôt à planter, reproduire les arbres. On dit que les moines bouddhistes chinois et japonais ont élevé les ginkgos dans leurs temples au cours des siècles et ont permis leur survie. C’est pourquoi, aujourd’hui, les plus anciens individus vivent en Asie. Celui par exemple de Sendai au Japon, âgé de 1250 ans, dont la ramure couvre 250 m2, est une célébrité. Les Chinois et les Japonais ont donc sauvé ce « fossile vivant » de la disparition, pour permettre sa diffusion dans les parcs et jardins du monde et jusque sur cette place du 10e arrondissement de Paris. Un ginkgo est planté pour la première fois en Europe, en 1730, au jardin botanique d’Utrecht, en Hollande, où il vit encore.
Mythique, le ginkgo l’est encore plus depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. La bombe atomique jetée sur Hiroshima le 6 août 1945 a aussi décimé les arbres. Mais de quelques troncs calcinés, l’année suivante, des jeunes pousses ont surgi. Ces arbres (camphriers, eucalyptus…), dotés d’une rage de vivre incroyable, sont devenus des symboles de paix (ils ont été recensés dans une liste). Le plus connu d’entre eux ? C’est un ginkgo situé à 1130 mètres de l’épicentre de la bombe. Il faisait partie d’un temple aujourd’hui reconstruit.
DANS LA MEDECINE CHINOISE, ON LES UTILISE POUR BOOSTER LA SPERMATOGENESE
Sa sexualité aussi, le rend célèbre. Pour se reproduire, le ginkgo n’utilise ni graine, ni spore. Il pond des œufs ! Enfin, les arbres femelles pondent des œufs, des boules jaunes grosses comme des noix suspendues aux branches. Elles ressemblent à des fruits, mais ce sont des « ovules », qui ne germeront qu’une fois fécondés par le pollen des ginkgos mâles à proximité.
Au rayon phytothérapie, encore une fois, le ginkgo biloba se fait remarquer. Dans la médecine chinoise, on l’utilise en décoction et en emplâtre contre la toux et l’asthme et pour booster la spermatogenèse, par exemple. En Occident depuis une trentaine d’années, on l’utilise pour ses effets sur la circulation sanguine ou pour stimuler la mémoire ou la concentration. Il est cultivé en Asie, aux États-Unis et dans le Sud-Ouest de la France afin d’approvisionner l’industrie pharmaceutique.
Mais revenons dans les villes, où depuis les années 80, il occupe de plus en plus les places et les trottoirs. Car cet arbre, mythique on vous dit, s’avère particulièrement résistant à la pollution. Il se défend aussi très bien face aux parasites, insectes et champignons auxquels sont habituellement si sensibles les arbres citadins étant donnée leurs conditions de vie éprouvantes. A Paris, cette espèce exotique compose désormais 1 % des arbres plantés le long des rues, soit autant que de tulipiers, de chênes, d’ormes, de peupliers ou de micocouliers. Un millier de ginkgos parsemés le long des trottoirs de la capitale, qui ne sont pas admirés comme le vénérable et vieux ginkgo du jardin du Luxembourg ou comme ceux qui bordent le lac du Bois de Boulogne, mais qui font leur job, apportent du doré sur les places sans charme, tout en résistant vaillamment à la pollution.
A LA RECHERCHE DE MADAME GINKGO
Respect. D’autant que pour s’acclimater à la vie urbaine, le ginkgo sacrifie sa vie amoureuse. On ne plante en effet dans les villes que des mâles. Les ovules des femelles dégagent une odeur écœurante qui fait râler les passants. Et une fois au sol, les œufs de ginkgo transforment les trottoirs en patinoire. On me signale cependant, au service des arbres de la mairie de Paris, que malgré tout, quelques années après la plantation, on s’aperçoit qu’on s’est trompé : une femelle a pu se glisser parmi les mâles. Alors je me mets à espérer, qu’on va découvrir place Raoul-Follereau, une madame Ginkgo pour rétablir un peu de parité. Et tant pis si ses fruits puent et jonchent le sol, il y aura peut-être, alors, des enfants pour jouer à se les envoyer dans la figure.
7 réponses
J’habite près de la place de Dublin et en remontant hier à vélo la rue Saint-Petersbourg j’ai senti une forte odeur désagréable. Bref, grâce à vous, je sais maintenant qu’il y a sur cette place un ginkgo femelle !!
Oh, Pierre ! Merci de ce message. Je suis contente de savoir que les ginkgos femelles font de la résistance à Paris ! D’autant que je viens de repasser place Raoul Follereau et j’ai compté 6 ginkgos chargés d’ovules qui sentaient quelque chose proche du vomi. Ca m’a réjouie !
Ecoutez,
Vu que je ne vis plus en France, ça fait un petit moment que je n’ai pas traîné rue de Tlemcen. Mais je pense qu’il y existe quelques femelles, notamment à hauteur de la rue Duris.
Ayant passé plus de quinze ans dans le quartier, je trouve que c’est le coin qui sent le plus.
À l’occasion, envoyez-moi un message par courriel!..
Où vivez-vous Fabien, y -a-til des ginkgos (femelles) là où vous êtes ?
Le saviez-vous ? Si les fruits sentent très mauvais, les graines qu’ils contiennent, une fois lavées, sont très belles :
http://fr.dreamstime.com/photographie-stock-libre-de-droits-noix-de-ginkgo-image22131357
Et comestibles :
http://www.naturalcomolavidamisma.com/blog/ginkgo-biloba-fruta-apestosa-con-semilla-deliciosa/
Il suffit de les casser et de les faire sauter à la poêle avec un peu d’huile d’olive jusqu’à ce quelles deviennent vert pomme et translucides ; débarrasser les peaux grillées avant de servir. Une saveur délicieuse et vraiment inédite.
Miam, cela a l’air bon !
Bonjour ?
Avenue Pierre Mendes-France, et avenue de France qui la prolonge: des centaines de ginkgos plantés, dont des femelles… Une étude a montré (publication chinoise) que certains mâles en l’absence de femelle pouvait générer des ovules sur certaines branches… Merci pour cet article ?